5 décembre 2017

[Adélaïde Pouchol - L'Homme Nouveau] Quand les moines appellent à boire... - entretien avec un moine du Barroux


SOURCE - Adélaïde Pouchol - L'Homme Nouveau - 5 décembre 2017

L’abbaye du Barroux lance un appel pour écouler au plus vite les stocks de vin Caritas, pourquoi est-ce si urgent?
Caritas est un projet solidaire, une marque de vin créée en 2015 avec les vignerons de notre secteur. Caritas, la charité en latin, est vraiment l’expression de ce que nous avions au cœur, de ce que nous vivions et voulions partager et ce nom nous est venu naturellement. Nous avons d'ailleurs fait inscrire sur les bouchons de chacune de nos bouteilles "Si je n'ai pas la charité, je ne suis rien."Nous avions bien conscience que Caritas était aussi le nom de la fédération bien connue d’organismes catholiques présente partout dans le monde, mais nous avons été mal conseillés en droit des marques et avons cru pouvoir déposer ce nom en classe 33 (vins et boissons alcoolisées) puisque la fédération Caritas avait déposé le sien dans la classe des services. Or la fédération a les caractéristiques d’une marque notoire et a droit à ce titre à une protection de sa marque au-delà de sa classe de dépôt. Nous avons discuté avec des responsables de Caritas, avons compris leur demande et décidé de changer de nom pour ne pas entraver leur travail.

Cette nouvelle marque devrait voir le jour en janvier. D’ici là, nous avons obtenu des représentants français de Caritas la permission d’écouler notre stock en France mais cela nous a été refusé dans d’autres pays car nous devons négocier avec les représentants de chaque pays le droit d'y vendre nos bouteilles. À cela s’ajoutent les pertes – grimpant parfois jusqu’à 70 % – subies par les vignerons à cause du gel cette année… Nous allons manquer de trésorerie si nous n’écoulons pas nos stocks rapidement et manquons surtout de place pour étiqueter et stocker les bouteilles avec le nouveau nom. Si nous voulons surmonter ces difficultés, nous avons besoin que l’on achète et que l’on boive notre vin!
Caritas, dont le nouveau nom sera bientôt dévoilé, est donc une marque de vin. Mais encore ?
Notre communauté bénédictine s’est installée au Barroux il y a trente ans et les sœurs, arrivées en 1986, ont repris une propriété viticole en s’engageant à la maintenir en activité. Dès le début, nous avons donc travaillé la vigne, et en avons même planté autour de l’abbaye des hommes. Au fil des ans, nous avons rejoint un groupe de vignerons et nous nous y sommes impliqués jusqu’à en devenir administrateurs. Conscients des enjeux de l’activité viticole dans cette région, nous avons eu l’idée de créer une cuvée commune pour travailler ensemble, avec des méthodes plus respectueuses de la Création.

L’image monastique est une image forte, celle d’un travail bien fait et avec amour. Nous voulions emmener avec nous des vignerons dont le travail est assez méconnu et peu valorisé dans notre région du Ventoux. Ici, les terrains sont en terrasse, parfois très accidentés et donc bien plus difficiles à travailler que sur les plaines. Cela nécessite un outillage spécifique et couteux. Mais les vignerons avaient à cœur de ne pas laisser à l’abandon ces paysages façonnés par des siècles de travail de nos pères et avaient décidé d’y faire un vin d’exception. Alors, en 2012, les moines commencent donc à cultiver, eux aussi, en terrasse, avec les méthodes très pointues que cela implique. L’intuition de Caritas, c’est donc d’allier le savoir-faire des moines et celui de ces vignerons jusqu’au-boutistes !
Ce travail du vin mobilise-t-il toute la communauté ?
Il y a une équipe fixe de quatre ou cinq frères qui s’occupent des activités agricoles, le vin, l’huile d’olive et la lavande. Il en va de même pour la communauté des moniales, que nous aidons pour certaines activités, notamment les travaux de force. Toute la communauté travaille pour les vendanges et les cueillettes. Notre vin est le fruit d’un travail monastique réel ! A eux deux, les vignobles des moines et des moniales représentent tout de même 9 hectares.
Les moines connaissaient-ils les métiers de la vigne lorsque l'aventure de Caritas a commencé ?
Il y avait dans la communauté un moine qui avait été œnologue, un fils de vigneron et un ancien ingénieur agronome. Mais surtout, nos liens avec les vignerons de la région nous ont permis de rencontrer des personnes qui connaissent bien le métier et étaient prêtes à nous aider. Je pense en particulier à Jean-Dominique Artaud, rencontré en 2010, alors qu'il était chef de culture du Domaine de la Janasse en Châteauneuf-du-Pape. Il a vu le potentiel des vignobles des abbayes des moines et des moniales et a su nous indiquer dans quelle direction approfondir notre travail pour gagner en qualité. Il faut beaucoup de finesse, ne serait-ce que pour déterminer la date des vendanges en fonction du vin que l'on souhaite... Comment ne pas citer également Philippe Cambie, sacré œnologue de l'année en 2010 par Robert Parker, qui nous a prodigué de précieux conseils alors qu'il est très sollicité par ailleurs ? C'est un homme de cœur qui a su voir tout de suite que notre projet valait le coup.
Comment sont vendus les vins Caritas?
Au Barroux, nous avons toujours fait et vendu notre vin mais au départ, nous ne passions que par les réseaux monastiques. Avec Caritas, nous voulons rejoindre les canaux de vente de vin traditionnels : cavistes, épiceries fines, hôtelleries... Notre site internet répertorie les différents points de vente des vins Caritas mais ces informations sont en perpétuelle évolution puisque de nouveaux points de vente s'ouvrent régulièrement. Caritas représente quelques 70 vignerons, nous avons donc des objectifs d'export très importants pour la marque. Nous avions déjà bien amorcé ces démarches mais notre problème de nom de marque fait que nous ne sommes pas en mesure d'honorer nos commandes dans certains pays. Il faut impérativement que nous surmontions ces difficultés pour que le projet Caritas continue de se développer, et avec lui l'esprit de charité qu'il porte, et l'hommage qu'il rend au travail paysan.